Par Bruno Cressard, avocat à la Cour d’Appel de Rennes, ancien Bâtonnier.
POINT DE VUE
Tribune publiée par le Journal Ouest-France le 30/12/2017
Où en est L’État de droit fin 2017?
Inspirée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et théorisée à la fin du XIXe siècle, la notion d’État de droit implique la primauté du droit sur le pouvoir politique, l’obéissance à la loi par tous et le respect de la Constitution par la loi.
Enrichi dans le courant du XXe siècle par le respect des libertés fondamentales, l’État de droit avait vocation dans les années 1990 à devenir une sorte de standard universel après la chute du communisme, et avec l’avènement de nombreux pays à la démocratie.
Au début du XXIe siècle, le côté tragique de l’Histoire est réapparu, avec l’irruption du terrorisme islamiste et le retour de nombreux pays à un obscurantisme hors d’âge.
L’État de droit est aujourd’hui remis en cause à travers le monde par la volonté d’étendre l’application de la charia dans des régions d’Afrique, du Moyen Orient ou d’Asie. Dans le même temps, des initiatives politiques prises dans des pays plus proches de nous, voire chez nous, y portent également atteinte.
Cela est notamment le cas en Pologne, dont le Président a promulgué le 20 décembre deux lois qui confèrent au pouvoir politique le contrôle du système judiciaire.
La réaction de l’Union Européenne a été immédiate et au regard « du risque clair d’une violation grave de l’État de droit en Pologne » : la première étape de l’article 7 du traité de l’Union, qui peut aboutir à la perte de leur droit de vote pour les pays ne respectant pas les critères de l’État de droit, a été engagée.
Le risque d’un despotisme doux
Cette procédure inédite en Europe peut devenir une arme plus régulièrement utilisée, la Hongrie et la Roumanie entendant également mettre en œuvre des réformes portant atteinte à l’indépendance de la justice, élément essentiel d’un État de droit. Quant à la nomination récente en Autriche de ministres issus de l’extrême droite à des fonctions régaliennes et en particulier au ministère de l’Intérieur, elle fait craindre les pires dérives.
Aux États-Unis, c’est l’indépendance de la justice américaine qui a permis d’éviter jusqu’ici l’entrée en vigueur de certains décrets pris par le président Trump dont le « travel ban ». Quant à la Chine et la Russie, ce ne sont pas des États de droit.
En France, la loi antiterroriste entrée en vigueur le 1er novembre dernier a donné lieu à de vives critiques. Une juriste reconnue, Mme Delmas Marty, soutient qu’en donnant plus de pouvoir aux autorités administratives et moins aux juges, cette loi contient en elle un risque de despotisme doux et fait passer de l’État de droit à l’état de surveillance.
Il appartiendra au Conseil Constitutionnel de dire si cette loi est conforme à la Constitution.
Dans un domaine moins tragique, mais tout aussi important dans le principe, les semaines à venir seront déterminantes pour apprécier, à travers une illustration concrète, la volonté du gouvernement français de faire respecter l’État de droit.
Quelle que soit l’option retenue concernant l’emplacement de l’aéroport, la reconquête de la zone de non droit qui existe sur le territoire de l’emprise de l’aéroport prévu à Notre-Dame-des-Landes sera le signe d’un retour à l’État de droit.
En annonçant la décision de l’Union Européenne à l’encontre de la Pologne, son vice-président précisait qu’elle avait été prise « le cœur lourd », mais ajoutait qu’elle était inévitable car « il s’agit de qui nous sommes ». On ne saurait mieux dire.
Bruno Cressard, avocat à la Cour d’Appel de Rennes, ancien Bâtonnier.
Source Journal Ouest France du 30 décembre 2017 POINT DE VUE. Où en est l’État de droit en 2017 ?